30 propositions de l’Assurance Maladie pour améliorer le système de santé et maîtriser les dépenses
Le rapport annuel sur l’évolution des Charges et Produits de l’Assurance Maladie pour l’année 2024 a été approuvé le 6 juillet 2023 par le Conseil de la Caisse nationale de l’Assurance Maladie (Cnam). Il présente, dans une stratégie pluriannuelle, des analyses approfondies et 30 nouvelles propositions pour améliorer la qualité et l’efficience du système de santé, avec l’ambition d’éclairer les débats du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) et les politiques de santé.
Découvrir la présentation en vidéo du rapport par Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam.
Dans un contexte de sortie de crise sanitaire et d’amélioration de l’équilibre financier, le déficit de la branche maladie devrait être divisé par 3 en un an, passant de 21 milliards d’euros en 2022 à 7 milliards d’euros en 2023, plusieurs défis majeurs ont guidé ce travail collectif d’analyse et de propositions mené par l’Assurance Maladie :
- améliorer la santé des populations,
- garantir l’accès à des soins de qualité,
- être soutenable économiquement,
- engager la transition écologique du système.
Un panorama global et 7 fils rouges
Le rapport s’ouvre sur un panorama global du système de santé, avec un vaste ensemble de données offrant, d’une part, une vision médicalisée de l’Ondam (objectif national des dépenses d’assurance maladie) par pathologie et, d’autre part, une analyse inédite de l’offre et de l’activité des professions de santé libérales, désormais disponibles en ligne sous un format de datavisualisation sur le site Data Professionnels de santé.
Les 30 propositions d’amélioration du système de santé sont déclinées au travers de 7 fils rouges : approche par population, par pathologie, organisation des soins, analyses sectorielles, santé numérique, prestations en espèces, et enfin, pertinence, efficience des soins et lutte contre les fraudes.
Des propositions d’actions de santé publique ambitieuses
L’Assurance Maladie plaide notamment, dans le rapport, pour le renforcement des actions de prévention en direction des enfants et des jeunes (prévention des infections à papillomavirus humains, prévention bucco-dentaire) ainsi que des personnes âgées, pour favoriser le vieillissement en bonne santé.
Visionner la présentation en vidéo par Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins à la Cnam, des propositions de l'Assurance Maladie sur la santé buccodentaire.
Elle appuie des actions ambitieuses de santé publique autour du dépistage de pathologies comme le diabète, l’insuffisance cardiaque ou les cancers.
Voir les propositions de l'Assurance Maladie sur les maladies chroniques présentées par le docteur Catherine Grenier, directrice des assurés de la Cnam.
Elle formule aussi des propositions innovantes sur la télésanté ou la prise en charge de l’activité physique adaptée dans certains cas.
Sur la télésanté, visionner la présentation en vidéo par Julie Pougheon, ancienne directrice de l'offre de soins à la Cnam, des propositions de l'Assurance Maladie sur l'encadrement de la téléconsultation.
Le rapport propose également des mesures incitatives pour encourager les bonnes pratiques, notamment en matière d’organisation des soins, mais aussi un renforcement des contrôles pour lutter contre les fraudes ou les abus.

Les propositions de l’Assurance Maladie pour 2024
L’impact des actions de l’Assurance Maladie sur l’Ondam 2024
L’impact des actions de gestion du risque proposées par l’Assurance Maladie est estimé à environ 1,3 milliard d’euros pour l’année 2024.
Approche structurelle centrée sur la prise en charge des pathologies chroniques
impact : 205 millions d’euros soit 16 % du total des économies
Pathologie | Impact en 2024 (en millions d'euros) |
---|---|
Maladies cardiovasculaires | 40 |
Diabète | 60 |
Antibiorésistance | 45 |
Santé mentale | 25 |
Autres pathologies | 35 |
Total | 205 |
Approche populationnelle (jeunes et personnes âgées)
impact : 25 millions d’euros soit 2 % du total des économies
Population | Impact en 2024 (en millions d'euros) |
---|---|
Enfants et jeunes | 5 |
Personnes âgées | 20 |
Total | 25 |
Actions d’amélioration de l’efficience et de la pertinence des soins
impact : plus de 700 millions d’euros soit 55 % du total des économies
Catégorie | Impact en 2024 (en millions d'euros) |
---|---|
Actes | 45 |
Médicaments | 85 |
Dispositifs médicaux inscrits à la LPP | 120 |
Biologie | 155 |
Transport | 85 |
Indemnités journalières | 200 |
Total | 690 |
Contrôles et lutte contre la fraude et les abus
impact : 345 millions d’euros soit près de 27 % du total des économies
Catégorie | Impact en 2024 (en millions d'euros) |
---|---|
Actes | 165 |
Médicaments | 30 |
Dispositifs médicaux inscrits à la LPP | 50 |
Transport | 50 |
Indemnités journalières | 50 |
Total | 345 |
Focus sur 4 propositions de l’Assurance Maladie relative aux dépistages et à la prévention
Organiser le dépistage précoce du diabète de type 2
Constats
- En 2021, parmi les personnes non-diabétiques de 50 ans, 18,4% n’avaient pas réalisé de dépistage du diabète dans les 5 dernières années.
- Environ 30 % des diabétiques de type 2 diagnostiqués en 2021 l’ont été à l’occasion d’une hospitalisation pour une complication aiguë du diabète.
- Selon les projections, en 2027, on comptera environ 500 000 diabétique de type 2 de plus qu’en 2021 et la gravité des cas augmentera.
Axes de travail de l’Assurance Maladie
- Instaurer une campagne organisée de dépistage du diabète de type 2 ciblant les 45-50 ans à risque
- Intégrer cette offre dans le rendez-vous de prévention prévu à cet âge
Poursuivre la mobilisation collective pour améliorer les taux de dépistage des cancers colorectal, du sein et du col de l’utérus
Constats
Type de cancer | Taux de participation | Taux cible |
---|---|---|
Dépistage du cancer colorectal | 34,3 % des personnes éligibles de 50 à 75 ans sur la période 2021-2022 | 65 % |
Dépistage du cancer du sein | 46,6 % des femmes éligibles de 50 à 75 ans sur la période 2021-2022 | 70 % |
Dépistage du cancer du col de l'utérus | 58,8 % des femmes de 25 à 65 ans sur la période 2018-2020 | 70 % |
Axes de travail de l’Assurance Maladie
- Déployer, à compter de janvier 2024, des parcours d’invitations personnalisés par l’Assurance Maladie…
- …combinés à des actions d’« aller vers » individuelles et collectives
Ouvrir le remboursement de l’activité physique adaptée (APA) à certaines catégories de patients atteints de maladies chroniques
Constats
- Le rôle de l’activité physique et sportive dans l’amélioration de l’espérance de vie en bonne santé est documenté.
- Pour de nombreux malades chroniques, le bénéfice thérapeutique d’une activité physique adaptée est également démontré.
Axes de travail de l’Assurance Maladie
- Cibler les patients atteints de diabète et les patients atteints d’un cancer pour lesquels l’APA est indiquée par la HAS
- Proposer le remboursement, en lien avec les organismes complémentaires, d’un cycle de prise en charge sur 3 mois, renouvelable une fois
- Promouvoir les bienfaits de l’activité physique régulière et du sport auprès de l’ensemble de la population
Investir massivement sur la prévention bucco-dentaire des jeunes générations pour faire émerger une « génération sans carie »
Constats
- Part des enfants sans aucune carie : 56 % France, 81 % Allemagne
- Indice carieux (nombre moyen de dents cariées, absentes ou obturées par enfant) à 12 ans : 1,12 en France, 0,5 en Allemagne
- De 33 à 50 % des adultes ont au moins 1 dent cariée à traiter
Axes de travail de l’Assurance Maladie
- Annualiser le bilan spécifique de prévention pour les 3-24 ans
- Rembourser intégralement la totalité des actes de prévention et des actes conservateurs pour les 3-24 ans en mobilisant une coalition avec les organismes complémentaires
- Mobiliser les acteurs pour « aller vers » les publics plus éloignés du soin
Source : Rapport « Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses - Propositions de l’Assurance Maladie pour 2024 ».
Des nouveaux enjeux explorés
De nouveaux enjeux, comme la financiarisation du secteur de la santé, c’est-à-dire le processus par lequel des acteurs privés non directement professionnels de santé investissent dans le secteur de l’offre de soins, y sont également abordés.
Comprendre cette financiarisation et les mesures proposées par l'Assurance Maladie avec l'explication de Thomas Fatôme en vidéo.
Le sujet des médicaments fait, enfin, l’objet d’un focus. Les propositions de l’Assurance Maladie visent par exemple à assurer un accès rapide et sans rupture aux médicaments en France, à poursuivre l’excellence française en termes d’accès à l’innovation et à limiter l’impact environnemental des produits de santé, à l’origine de la moitié des émissions de gaz à effet de serre de notre système de santé.
Voir les enjeux liés aux médicaments expliqués en vidéo par Dominique Martin, médecin-conseil national de la Cnam.
Dans une logique réaffirmée de maîtrise médicalisée des dépenses, les mesures proposées par l’Assurance Maladie pour l’année 2024 doivent permettre de générer environ 1,3 milliard d’euros d’économies.
Consulter le rapport Charges et Produits pour 2024 (PDF) et voir aussi sa synthèse (PDF).
Zoom sur quelques propositions issues de ce rapport en vidéo
Les principales propositions de ce rapport par Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam
Questions à Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'Assurance Maladie
Quels sont les enjeux priorités que vous abordez dans ce rapport ?
Les enjeux prioritaires de ce rapport « Charges et Produits » pour 2024 sont en lien avec la situation de notre système de santé. On sort de la crise sanitaire, mais c’est vrai que le système de santé en sort durement éprouvé. Et donc comment on positionne les sujets ?
D’abord, le sujet de l’accès aux soins, et de leur accès territorial, pour accompagner les assurés à trouver des réponses en termes de santé. Les enjeux en termes de prévention et de santé publique.
On sent bien, après la crise sanitaire qu’on peut être plus efficace sur les politiques de prévention.
Troisième item, c’est un classique de « Charges et produits » c’est l’enjeu de la soutenabilité du système de santé.
On sort d’une crise avec des déficits très élevés et une dette importante :comment on peut remettre l’Assurance Maladie sur le chantier de la soutenabilité ?
Et puis le dernier élément, un peu une nouveauté,c’est de mettre le focus sur les enjeux de la transition écologique, un système de santé plus sobre ; on se rend bien compte et on sait que c’est une priorité qui va monter dans les prochaines années.
Qu'est-ce que votre rapport de nouveau ou de différent ?
D’abord, je crois que ce rapport continue à innover sur sa forme, sa présentation, puisqu’il est de plus en plus appuyé
sur les outils de data visualisation.
L’année dernière, on a ouvert le site Data pathologies,pour comprendre les dépenses de santé
à travers des pathologies.
Cette année, on a ouvert Data professionnels de santé,un site qui permet de comprendre l’organisation des soins des professionnels de santé, leur activité, leur démographie sur le territoire au niveau départemental, régional, national.
Donc ce rapport innove encore une fois sur la mise à disposition de données dans des conditions modernes.
Deuxième élément, en quoi ça différencie, c’est qu’on a mené des travaux d’études approfondis.Comprendre l’évolution des arrêts de travail, sur une dizaine d’années, pourquoi ça augmente, quels sont les éléments structurels et conjoncturels.
Des analyses approfondies aussi sur le recours aux urgences, par exemple, est-ce qu’avoir un médecin traitant
change le recours aux urgences ? La réponse est oui. Des études approfondies également
sur le numérique en santé.
Ça foisonne, le numérique en santé ; essayer de comprendre les innovations, essayer de les classer, les différencier. Ça, ce sont des innovations. Et puis, on est aussi allés sur des nouveaux sujets,et je pense notamment à la financiarisation du système de santé. Cette financiarisation, on en parle beaucoup et, dans ce rapport, on essaye de poser une définition, un diagnostic et des propositions. Et je crois que ça apporte quelque chose de nouveau, de différent et d’utile pour tous les acteurs du système de santé.
Quelles les nouveautés et/ou les propositions innovantes pour 2024 ?
Charges et produits 2024, c’est 30 propositions sur la prévention, sur l’organisation des soins, sur la soutenabilité, avec beaucoup de choses innovantes pour faire avancer le système de santé et faire avancer la prise en charge de nos assurés.
J’ai envie d’en partager trois qui me semblent particulièrement importantes et innovantes.
La première, c’est de prendre en charge l’activité physique adaptée. Il y a aujourd’hui des études qui montrent que cette activité physique adaptée, tout simplement c’est bon pour la santé, c’est bon pour les personnes qui sont malheureusement victimes du cancer, qui ont du diabète. Et on sait que si on organise, et si on prend en charge ces séances d’activité physique adaptée, et bien c’est bon pour leur santé. Ça, c’est une proposition innovante : c’est un terrain de prise en charge sur lequel l’Assurance Maladie va, et c’est un terrain nouveau.
La deuxième proposition elle est aussi sur le terrain de la prévention finalement : on veut construire sur
une génération sans caries. Agir massivement sur la prévention, avec des examens de prévention réguliers chez les dentistes, aller tous les ans chez le dentiste, entre 3 et 24 ans, c’est un investissement majeur pour demain,pour ne plus avoir de caries et donc ne plus avoir de prothèses. Ce programme « génération sans caries » nous tient beaucoup à cœur.
Troisième proposition : elle est en lien avec les innovations numériques en matière de santé. On sait qu’elles sont en train de prendre une place plus importante et notamment en termes de santé mentale. Il y a aujourd’hui ce qu’on appelle les thérapies digitales, des applications qui vous accompagnent et qui sont du plus en termes de santé mentale. L’Assurance Maladie propose de lancer un pilote, de rembourser un pilote en termes de thérapie digitale, des applications qui, encore une fois,vous accompagnent dans votre parcours de soins, ça existe et on souhaite en être un acteur et les accompagner au bénéfice de nos assurés.
Et donc, je vous invite à prendre connaissance de l’ensemble des propositions, des diagnostics, qui sont contenus dans ce rapport, rendez-vous sur ameli.fr pour une version synthétique mais aussi pour la version longue, bien entendu.
Prévention et santé buccodentaires par Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à la gestion et à l'organisation des soins à la Cnam
Questions à Marguerite Cazeneuve, directrice déléguée à gestion et à l'organisation des soins à la Caisse nationale de l'Assurance Maladie
Quelle est la situation en termes de santé dentaire en France ?
La santé dentaire est un marqueur très fort d’inégalités sociales, parce que c’est très lié à vos habitudes de vie, votre alimentation, le tabagisme, etc.
Ces inégalités, on les voit très tôt, parce qu’à l’âge de cinq ans, vous avez une très forte différence sur le nombre de caries qu’ont les enfants, entre les foyers modestes et les foyers plus aisés.
Une première très grande étape a été franchie en 2020 avec le 100 % Santé. Le 100 % Santé, c’est quoi ? C’est le fait de rembourser à 100 % un certain nombre de soins prothétiques, c’est-à-dire des couronnes. Quand vous n’avez plus de dents, quand il faut vous enlever une dent, c’est le fait d’avoir une dent de remplacement qui soit remboursée, ce qui n’était pas le cas avant.
Le fait de rembourser les couronnes a été une avancée très importante, puisque le fait de ne pas avoir de dents
ou d’avoir de très mauvaises dents gâche la vie au quotidien, puisque ça empiète sur votre vie sociale, professionnelle, ça vous empêche de trouver un boulot, etc.
Une fois qu’on a remboursé les couronnes, en fait on a fait que la moitié du chemin. Parce que le plus important, c’est de ne pas avoir besoin de couronnes, et donc d’avoir une bonne dentition tout au long de la vie.
Sur la prévention, en France, on n’est pas très bons. Quand on se compare par rapport à l’Allemagne. En Allemagne, il y a deux fois moins de jeunes de douze ans qui ont des caries qu’en France.
Quelles sont les propositions clés en faveur de la santé dentaire ?
Nous, ce qu’on veut, c’est faire émerger une génération sans carie. Pour cela, on va cibler notre investissement sur les 3-24 ans. Ce qu’on va leur proposer :
- c’est d’abord un bilan entièrement remboursé chaque année chez le dentiste ;
- deuxièmement, une prise en charge de la totalité des soins pour soigner leurs dents, des caries, etc. – en sachant qu’il y a plein d’innovations que l’on pourra financer pour ces enfants, ces adolescents et ces jeunes ;
- troisièmement, de renforcer notre effort sur la promotion de la santé, notamment à l’école maternelle, donc en lien avec l’Éducation nationale ;
- et quatrièmement, renforcer nos actions que l’on appelle d’ « aller vers », c’est-à-dire le fait de se déplacer jusque dans certaines classes, dans certaines écoles, pour vérifier que tous les enfants ont bien accès à ce dépistage.
Ce que l’on propose, c’est un virage assez radical. Pour y arriver, on va avoir besoin d’une vraie coalition de l’ensemble des parties prenantes.
Évidemment, l’Assurance Maladie, mais pas que : aussi les organismes complémentaires, les dentistes évidemment, mais aussi l’Éducation nationale, les parents…
Bref, on a besoin d’un effort de tous pour y arriver.
Dépistage et prise en charge des maladies chroniques, par Catherine Grenier, directrice des assurés de la Cnam
Questions à Catherine Grenier, directrice des assurés de la Caisse nationale de l'Assurance Maladie.
L'Assurance Maladie se mobilise face aux maladies chroniques. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Les maladies chroniques sont effectivement un sujet majeur pour le système de santé. Le nombre de malades chroniques ne cesse d’augmenter. Ce sont près de 25 millions d’assurés qui vivent une dégradation de leur espérance de vie et de leur qualité de vie, avec une augmentation prévisible du nombre de personnes concernées. Par exemple, on prévoit un demi-million de diabétiques supplémentaires en 2027, d’où l’attention que porte l’Assurance Maladie à ce sujet.
Parlons du diabète, qui est une maladie de plus en plus fréquente. Que comptez-vous faire ?
Nous souhaitons mettre en place un dépistage à 45 ans. Il est en effet fondamental d’identifier les personnes diabétiques ou à risque de le devenir.
L’objectif est d’éviter la maladie et ses complications, qui peuvent être graves et invalidantes : on parle ici d’insuffisance cardiaque, d’insuffisance rénale, de cécité voire même d’amputation.
Ce dépistage précoce est essentiel car nous disposons de moyens pour éviter la maladie et ses complications. Des mesures simples : une alimentation saine, une activité physique régulière. Ces mesures peuvent être mises en place par les personnes concernées avec un impact majeur sur leur santé, aussi important, voire plus que celui des médicaments.
Nous proposons donc un questionnaire simple, pour tous, entre 45 et 50 ans. C’est l’âge où le diabète apparaît le plus souvent. Ce questionnaire permet d’identifier les personnes à risque pour les inciter à se faire dépister en lien avec leur médecin traitant grâce à une glycémie à jeun. C’est à articuler avec les rendez-vous de prévention aux âges clés qui sont annoncés pour la fin de l’année.
L’ambition, c’est de faciliter l’accès à ce dépistage pour initier une modification des habitudes de vie dès les premiers signes biologiques avant l’apparition des symptômes, et d’éviter les complications, voire même d’éviter la maladie.
On sait que l'activité physique est bonne pour la santé. Vous allez donc désormais la rembourser ?
Le bénéfice d’une activité physique modérée, comme la marche, le vélo, faire son jardin, danser, notamment pour les personnes atteintes de maladies chroniques, n’est plus à démontrer. C’est prouvé. Nous voulons faciliter
l’adoption de cette pratique.
La perspective des Jeux Olympiques en France, l’été prochain, est une belle opportunité pour mobiliser l’ensemble de la population, même si on ne parle pas ici de sport au sens classique du terme, mais d’activité physique quotidienne. L’Assurance Maladie va participer activement à cette mobilisation.
Elle propose aussi de financer des cycles d’activité physique adaptée pour les patients dont l’état de santé et les capacités le justifient. Ça prend la forme d’un programme d’accompagnement sur trois mois, visant à initier une activité physique adaptée aux capacités, et à inciter les patients à la pratiquer au long court, de manière autonome.
Pour commencer, on propose la prise en charge d’un cycle de séances pour les personnes atteintes de cancer
ou de diabète sur prescription du médecin. Nous allons étudier de près l’impact de ce projet pour voir s’il convient d’étendre ce type de programme à d’autres malades. C’est une vraie innovation pour les patients.
Encadrement de la téléconsultation, par Julie Pougheon, ex-directrice de l'offre de soins à la Cnam
Questions à Julie Pougheon, ex-directrice de l'offre de soins à la Caisse nationale de l'Assurance Maladie
Concernant la santé numérique, on a vu exploser le recours à la téléconsultation. Où en est-on aujourd'hui en France sur ce terrain ?
La télémédecine, et notamment la téléconsultation, se développent depuis plusieurs années dans notre pays.
En 2019, l’Assurance Maladie et les représentants des médecins ont souhaité encadrer cette pratique et permettre son remboursement. On a posé des jalons pour assurer une télémédecine et des téléconsultations de qualité. Parmi ces jalons, il y a le fait de connaître préalablement le médecin avec lequel vous téléconsultez. Il y a évidemment le fait de respecter le parcours de soins, qui est un des pivots du parcours patient dans notre système.
Avec la crise, évidemment, explosion des téléconsultations. Lors du premier confinement, on arrive à 4 millions de téléconsultations au seul mois d’avril.
Après la crise, la téléconsultation s’est installée dans les pratiques, mais elle revient à un niveau minoritaire de l’ordre de 4 % des consultations réalisées par les médecins.
Pourtant, vous voulez la réguler. Pourquoi ?
On constate aujourd’hui des pratiques qui ne sont pas complètement adaptées, voire qui peuvent être inquiétantes. On va prendre plusieurs exemples.
Typiquement, les plateformes de téléconsultation, qui font appel à des médecins qui sont éloignés des patients, qui ne les verront jamais en présentiel.
Une absence de retours au médecin traitant sur des sujets médicaux qui peuvent être traités pendant ces téléconsultations, et qui ne permettent pas de garantir que le patient est bien inscrit dans une prise en charge.
Un autre exemple, l’installation de télécabines de consultation dans des locaux commerciaux, dans des lieux de passage. Encore une fois, la médecine, ce n’est pas un bien de consommation courante. Il faut donc avoir des télécabines installées dans des lieux qui permettent d’assurer la confidentialité des échanges – c’est primordial – mais aussi de s’assurer que, si le patient en a besoin, par exemple, il peut être accompagné par un professionnel de santé qui va l’aider à réaliser sa téléconsultation, qui va l’aider à prendre ses constantes.
Comment faut-il donc encadrer cette pratique ?
On voit donc qu’il est important de continuer à encadrer la pratique de la téléconsultation. On a déjà fait des avancées. L’Assurance Maladie et les représentants des médecins se sont mis d’accord sur le fait que l’activité de téléconsultation
devait rester minoritaire dans la pratique du médecin pour qu’il garde un examen clinique physique le plus souvent possible.
Deuxième chose, le législateur est intervenu pour encadrer les pratiques des plateformes de téléconsultation. Là aussi, ces plateformes doivent se plier aux exigences de qualité, de respect de la confidentialité des données,
de respect des règles de facturation… Toutes ces exigences doivent s’imposer si elles veulent délivrer des téléconsultations remboursées par la Sécurité sociale.
Il faut aller plus loin. On le voit dans les dérives qu’on a pointées. On a aujourd’hui différents sujets qui doivent être traités par un encadrement.
Premier exemple : les prescriptions. Est-ce qu’on peut tout prescrire en téléconsultation ? Probablement qu’il faut poser des limites. Première limite, typique, : la prescription d’un arrêt de travail. Parfois, on peut avoir besoin d’un arrêt de travail en urgence, et donc avoir recours à une téléconsultation pour avoir cet arrêt de travail. Mais si l’arrêt de travail doit se prolonger au-delà d’une certaine durée, il faut nécessairement un examen clinique du patient, et donc qu’il puisse aller voir un médecin en présentiel. C’est pour ça que l’Assurance Maladie propose que les arrêts de travail qui sont prescrits en téléconsultation ne puissent pas dépasser les trois jours.
Deuxième exemple : la sécurité des données. Les données de santé doivent, par définition, rester confidentielles. Il faut donc que la téléconsultation puisse se faire dans des conditions où l’on exige une absolue sécurité des données de santé véhiculées.
Dernier sujet : les pratiques commerciales. La télécabine, ce n’est pas n’importe où, n’importe comment. Il faut que ces plateformes et ces pratiques s’installent dans un cadre éthique, qui est celui qu’on impose depuis toujours aux professionnels de santé, à la fois sur la prise en charge et sur les règles de facturation.
Les enjeux du bon usage du médicament par Dominique Martin, médecin conseil national de la Cnam
Questions au docteur Dominique Martin, médecin conseil de la Caisse nationale de l'Assurance Maladie
Le médicament représente des dépenses importantes pour l'Assurance Maladie et donc la collectivité. Quels sont les enjeux majeurs qu'il représente ?
Les enjeux liés aux médicaments sont d’abord des enjeux de santé publique. Ce qui est important, évidemment, c’est que les médicaments soient utilisés à bon escient, de manière pertinente pour traiter les maladies. Trop souvent, dans notre pays, on utilise le médicament à mauvais escient, c’est ce que l’on appelle le mésusage, dans des mauvaises indications, pour des mauvaises personnes, dans des délais qui sont trop longs. Ceci entraîne évidemment des effets indésirables, qui sont délétères pour les personnes, qui entraînent des maladies, parfois des hospitalisations, voire des décès. Il y a donc un enjeu majeur de santé publique à la bonne utilisation du médicament.
Il y a également un enjeu économique. Parce que le médicament coûte cher, et on doit donc l’utiliser à bon escient, c’est une part importante des dépenses de l’Assurance Maladie. Et si l’on utilise trop de médicaments pour de mauvaises indications, on fait des dépenses qui sont inutiles.
Quels sont les médicaments qui font l'usage de mésusage ?
Je peux vous donner quatre exemples de mauvais usages du médicament, notamment chez des personnes fragiles.
C’est le cas du nourrisson. Dans les reflux gastro-œsophagiens, on utilise souvent des inhibiteurs
de la pompe à protons – on les appelle les IPP – alors que ces médicaments ne sont pas
indiqués chez l’enfant de moins d’un an, et qu’ils ont des effets secondaires importants.
Un autre exemple, ce sont les femmes enceintes. On sait qu’en France, les femmes enceintes ont plus de médicaments que dans les pays d’Europe du Nord par exemple : deux à trois fois plus de médicaments
que dans les pays d’Europe du Nord. Outre le fait que c’est probablement inutile, c’est en plus dangereux
pour la femme enceinte et pour l’enfant. On le sait, on connaît les médicaments comme la dépakine ou d’autres médicaments qui ont donné des effets tératogènes très importants sur les enfants.
Enfin, les personnes âgées. Elles sont souvent polymédicamentées, on leur donne notamment des psychotropes,
des médicaments pour tranquilliser, ou pour mieux dormir. Alors que ces médicaments ne devraient être donnés que pour quelques semaines ils sont souvent maintenus pendant des mois, voire des années, et au bout du bout, on a plus d’effet positif du médicament. On ne fait pas mieux dormir la personne, elle n’est pas plus tranquille, plus détendue, par contre les effets secondaires, les effets délétères, eux persistent. Et on a, par exemple, chez les personnes âgées qui prennent ces médicaments-là, des risques de chutes qui sont considérablement aggravés.
En plus de mésusage, il y a aussi des phénomènes de détournement.
Il y a des médicaments qui sont détournés de leur indication classique pour une autre indication : c’est le cas notamment des antidiabétiques. Les nouvelles classes d’antidiabétiques ont un effet sur le poids, c’est connu mais ça n’est pas dans leur indication. Il y a donc des gens qui, simplement pour perdre un peu de poids, prennent ces antidiabétiques, qui sont des médicaments pas du tout anodins, qui sont par ailleurs très chers et qui ont une indication très précise qui est le diabète. Ils les prennent simplement pour perdre un peu de poids,a lors qu’en fait, ils devraient faire comme tout un chacun, de l’exercice et suivre un régime. Donc ce détournement est tout à fait délétère,
il est de plus en plus fréquent, et malheureusement, il s’appuie sur les réseaux sociaux, qui propagent ce type de
détournement de ce médicament.
Quelles sont vos propositions pour lutter contre ces situations ?
Forts de ces constats sur le mésusage et sur le détournement, l’Assurance Maladie, en lien avec l’Agence nationale de sécurité du médicament, va agir pour réduire, d’une part, le mauvais usage de certains médicaments et le détournement de certains médicaments dont les anti-diabétiques.
Pour dégager des manoeuvres de financement de l'accès aux médicaments innovants, notamment dans le domaine du diabète, on va favoriser la prescription des biosimilaires, qui sont aux médicaments biologiques ce que
les génériques sont aux médicaments chimiques, et qui coûtent de 15 à 30 % moins cher que les médicaments d’origine. On va donc favoriser l’utilisation de ces médicaments, ce qui nous permettra de dégager des marges de manœuvre pour le financement de l’innovation.
Financiarisation du système de santé par Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam
Questions à Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'Assurance Maladie
Cette année, vous vous penchez sur la question de la financiarisation du système de santé : pourquoi ?
On a souhaité s’intéresser à ce phénomène de la financiarisation, d’abord pour le définir : de quoi on parle ? Parce que, d’un côté, on a un système de santé fait avec des acteurs publics, privés, lucratifs, non-lucratifs, et de l’autre côté, on parle beaucoup de financiarisation.
Donc de quoi on parle ? Tout simplement, il faut se dire que la financiarisation, c’est la prise de contrôle d’une offre de soins qui est détenue par les professionnels de santé, par des acteurs financiers.
Qu’est-ce que ça change ? Quels enseignements on en tire ? C’est cela que « Charges et produits » aborde cette année.
Quels enseignements en tirez-vous ?
Finalement, ce que montrent ces travaux ? Ils montrent que ce phénomène de financiarisation est à l’œuvre dans notre pays dans certains domaines. Très présent dans la biologie, historiquement présent dans le secteur des cliniques privées,et puis il commence à se développer dans la radiologie.
Par exemple, quand on voit le secteur de la biologie, aujourd’hui en France, ce sont six groupes privés, tenus par des actionnaires privés, qui détiennent près de trois quarts de la biologie dans notre pays. Voilà ce qu’est la financiarisation appliquée au secteur de la biologie française.
Et puis on est allés voir également ce qui se passe dans d’autres pays. On voit par exemple qu’en Allemagne, une part importante des centres de santé de proximité sont aujourd’hui détenus par des investisseurs privés. Donc ça nous a permis de mieux comprendre le phénomène et de faire un certain nombre de propositions : elles sont assez simples mais très importantes.
Pouvez-vous nous expliquer ces propositions ?
C’est d’abord mettre en place un Observatoire avec tous les acteurs, publics et privés, du système de santé pour mesurer le phénomène, comprendre et accompagner la décision publique.
Et la deuxième proposition, c’est de mettre en place ce qu’on a appelé une mission permanente de contrôle de la financiarisation du système de santé.Il s’agit de mettre ensemble les compétences du ministère de l’Economie et des Finances, de la Justice, de la Santé, de l’Assurance Maladie et des agences régionales de santé, pour être en situation, collectivement, de contrôler le phénomène et mieux le réguler ; et d’éviter que l’on soit face à un phénomène rampant.
Observer et réguler, ce sont donc les deux propositions du rapport « Charges et Produits » sur la financiarisation.